01 novembre 2019
Mes trois poèmes de la Toussaint et du jour des Défunts
(Extrait de mon ouvrage Encens, marbre et bruyère)
Troisième poème de la Toussaint et du jour des Défunts (2018)
Vêpres
Quand vient aux vêpres la Toussaint dans cette joie où sont admis tous ceux qui furent Saints en secret ou en gloire à leur mesure
Comme il serait triste et vain de ne pas être heureux d'être triste
Cela pourrait signifier que nous n'avons souci ni de nous-mêmes ni de nos défunts ainsi livrés au cours obscur d'un fleuve qui n'a nulle part sa source et ne va nulle part
Esquif infortuné qui voguerait sur un tel fleuve !
Même le lendemain le jour des morts nous bercera d'un rassurant chagrin
Deuxième poème de la Toussaint et du jour des Défunts (2017)
Encens
I
Au son de l’orgue dans l’encens je vois monter la maison d’enfance
Elle s’élève avec les miens que j’ai connus et les autres qui m’ont parlé à travers eux
La maison en pierres et en mots
Le jardin la voie ferrée la marquise de la gare l’autorail l’encens les soulève
Il prend aussi le petit square avec son lampadaire
Tout ce qui veut peser compter durer l’encens m’aide à le voir encore un peu puis il l’emporte dans les airs
II
En moi cette âme grise et tiède attirée par le reflet d’un vitrail ou le halo d’un cierge
Aussi je veux l’encens et la Croix pour elle qui s’en ira
Dans l’adieu je veux l’encens léger au lourd parfum qui monte vers les voûtes immobiles de la dernière forêt
Quand frémissent à peine ses volutes après qu’aient battu très loin les ailes de l’Ange accompagnateur en des régions dont nul vivant ne peut avoir idée
Et qu’une voix dira comme à Géronte en son dernier songe Adieu, mais pas pour toujours
Marbre
Comme une feuille de carnet par terre où l’on a écrit des noms et des dates
Cette page ne prend ni le vent ni la pluie c’est ce que j’attends d’elle
Moi sous le ciel
Qui ne suis pas dans le secret des cieux
Bruyère
Quand les mots ont cédé à l’encens et au marbre il reste un geste
La bruyère trouvée sur le marché d’automne où l’on vend aussi aux vivants distraits des bouquets d’immortelles
Premier poème de la Toussaint et du jour des Défunts (1992 et 2016)
I
Toussaint
À la veillée des anciens mondes les feux d’humbles talus parfument les champs d’astres
La rivière est souvent déjà sombre et rapide mais la lumière en ses méandres y trouve un chemin dans les saules
Dans le courant chaque seconde et chaque vague reçoivent nos séjours
L’herbe chante à la flamme veilleuse des rivages des refrains de vergers loin derrière les fumées de berges incertaines
La voile accueille un vent fossile et conduit des paroles en forme de légendes et de mystères enchantés
II
Défunts
Les arbres bruissent du fond des terres où vous vous effacez
Défunts désormais loin des berges de l’aube et du soir où l’on allume des feux d’herbe pour croire encore en un retour en gloire
Qu’importe au fleuve ténébreux l’esquif de braconniers en loques tous ils retournent sur le flot
Toutes saisons ne furent qu’escales où l’on offrit et déroba le pain farci de clefs des champs la gourmandise du veilleur la provision du matinal
III
Élégie des beaux jours d’automne
Beaux jours d’automne sans vous toutes et tous absents pour toujours
Partout des prodiges sur Terre elle-même prodige vue depuis la Mer de la Tranquillité
Chaque seconde des miracles la lune dans les frênes la campanule à fleur de roche le mauve de la colchique le marron d’Inde qui brille sur la petite route forestière
On n’a rien vu de tel ailleurs dans l’univers pourtant si extravagant jusque dans ses plus profonds enfers alors pourquoi
Pourquoi pas juste une fois encore même une seule ce si petit miracle comparé aux autres si prodigieusement absurdes si majestueusement et sidéralement stupides
Pourquoi pas ce minuscule miracle un peu de temps encore avec vous toutes et tous dans les beaux jours d’automne
Car en comparaison de vous toutes et tous qui êtes tout et qui avez existé Science Foi Philosophie et Destin pèsent moins qu’un caillou de la Mer de la Tranquillité
IV
Deuil
L’heure vient à l’hiver en son office de ténèbres pour naviguer sur l’estuaire inconnu
La prière se mesure à l’absence à l’énigme éternelle au récit d’un été
Les voûtes n’ont pu tenir le retour d’une joie ancienne
La nuit alourdit de pétales et d’encens la veillée des faux morts ceux dont l’oubli ne veut
© Éditions Orage-Lagune-Express 1992, 2016, 2017 et 2018 pour la version modifiée et augmentée
Photos cathédrale et Croix © Christian Cottet-Emard
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23 mars 2015
Carnet / Des débats toxiques, de l’abstention, de l’anxiété et de la musique de Sir Edward Elgar
J’aimerais bien passer une journée sans entendre parler de religion, en particulier de celle qui m'effraie le plus en ce moment.
C’est pourquoi je n’ai pas assisté au café philo proposé vendredi à la médiathèque municipale d’Oyonnax sur le thème « la religion enferme-t-elle ou libère-t-elle ? » et qui a connu si l’on en croit la presse locale un record de participation. Faut-il s’en féliciter ou s’en inquiéter ? Je ne sais. Peut-être aurai-je l’occasion de demander aux organisateurs ce qu’ils en pensent. Partagé entre la curiosité et la crainte, inquiet d’éventuels incidents ou débordements, peu désireux d’accroître encore mon anxiété, je me suis finalement abstenu.
L’abstention, le retrait et la fuite sont des postures qui ne me remplissent pas toujours de joie (quoique, parfois...) mais qui sont le reflet de ma nature allergique à tout engagement collectif.
Je pense aussi qu’en Occident, nous sommes en train de nous laisser piéger dans des débats toxiques, d'un autre âge, qui nous tirent vers le bas et dont les sujets devraient normalement nous apparaître à notre époque comme définitivement réglés, ce qui n’est hélas pas le cas à cause de forces hostiles visant à faire éclater la société civile laïque.
À propos d’abstention, politique cette fois-ci, j’ai assisté récemment à l’échange contradictoire aigre-doux de deux amis sur ce sujet. Le fait qu’ils aient tous deux raison, l’un de ne pas voter, l’autre d’y aller, ne change rien au problème de fond : que faire quand on a « le couteau sous la gorge » ? Ma réponse : essayer d’estimer le danger au plus juste et se débrouiller avec sa conscience.
En ce qui me concerne, j’irai donc voter ce dimanche après-midi, certes sans enthousiasme, en évitant tout vote défouloir dans une élection finalement peu politique puisqu’il s’agit tout simplement d’élire des gestionnaires. Dans le contexte de ce type de scrutin, l’abstention n’a guère de sens ou tout au plus un sens individuel dont tout le monde se fiche hormis celui qui, dans le meilleur des cas par rapport à quelqu’un qui va à la pêche, entend marquer ainsi son mécontentement, son opposition ou son indifférence.
En tous cas, voilà au moins des élections, les départementales, qui ne seront pas trop polluées et faussées par l’angoisse liée aux questions religieuses. Du moins peut-on l’espérer, sauf si un électorat exaspéré utilise ce scrutin pour (se) faire peur, une tentation et une pratique qui remet tout simplement en question l’opportunité du suffrage universel. Je veux dire que le geste démocratique de base, le vote, ne doit s’accomplir que dans la réflexion la plus élaborée dont chaque citoyen soit capable.
Si cette réflexion est emportée par un torrent d’exaspération, autant rester chez soi et, sauf à vouloir nuire délibérément, se défouler en cassant un peu de vaisselle ou en pratiquant un sport quelconque si l’on est adepte de ce genre de petite perversion.
La politique ne m’intéressant guère plus que la religion, je préfère conclure cette page de carnet en évoquant ma dernière trouvaille discographique, un coffret de deux CD regroupant deux compositions de Sir Edward Elgar, Scenes from the Saga of King Olaf, cantate sur un vaste poème modifié d’Henry Wadsworth Longfellow (1807-1882), et The Banner of Saint George, une ballade composée sur des vers de Henry Shapcott Bunce (1854-1917) connu sous le pseudonyme de Shapcott Wensley.
La religion est certes l’un des thèmes de ces deux œuvres poétiques mais les livrets étant à mon goût sans le moindre intérêt et de toute façon chantés en anglais, seule la musique d’Elgar m’intéresse et elle est somptueuse.
À qui partagerait ma passion pour les œuvres de Sir Edward Elgar, je recommande cet enregistrement Chandos tout récent de Sir Andrew Davis à la direction du Bergen Philharmonic Orchestra avec la soprano Emily Birsan, le ténor Barry Banks, le baryton Alan Opie, le Chœur philharmonique de Bergen, le Collegiûm Mûsicûm de Bergen dirigés par Hakon Matti Skrede, et le Edvard Grieg Kor de Bergen.
Photos d'Elgar prise ici
11:53 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, écriture de soi, prairie journal, christian cottet-emard, poésie, musique, littérature, café philo, médiathèque municipale d'oyonnax, la religion enferme-t-elle ou libère-t-elle ?, abstention, élections départementales, suffrage universel, blog littéraire de christian cottet-emard, occident, culture occidentale, sir edward elgar, cantate, scenes from the saga of king olaf, ballade, henry wadsworth longfellow, the banner of saint george, shapcott bunce, shapcott wensley, sir andrew davis, bergen philharmonic orchestra, oprano emily birsan, ténor barry banks, baryton alan opie, chœur philharmonique de bergen, collegiûm mûsicûm de bergen, hakon matti skrede, edvard grieg kor de bergen, disques chandos, cd chandos
06 janvier 2015
Carnet / Du chant des possibles
Une rareté désormais : la carte de vœux fabrication maison en exemplaire unique reçue l’autre jour au courrier. Au verso d’une belle photo, l’amie de trente ans a recopié un instantané de François Xavier Maigre, un poète que je ne connaissais pas, publié aux éditions Bruno Doucey :
« Janvier. Son parfum hivernal, sa fraîcheur drue sur nos visages. le vent qui souffle... L’entendez-vous ? C’est le chant des possibles qui érafle les fenêtres de nos vies. »
Chez moi après les récentes chutes de neige
Chaque année le lendemain de l’Épiphanie, je regarde avec un petit pincement au cœur mon épicéa de Noël qui a perdu sa couleur et ses aiguilles mais dont le parfum rappelle encore ces fêtes de fin d’année pour moi toujours éclairées d’une certaine magie malgré tout ce qu’on leur reproche en ces temps de cynisme nanti et d’affectation blasée. C’est ma culture, avec ses imperfections, mais je m’y sens à l’aise et sans souhaiter la brandir comme un drapeau, je ne voudrais pas la voir remplacée par une autre.
Je suis bien conscient de la nécessité de ne pas tomber dans certains pièges politiques sordides mais je pense aussi que refuser de hurler avec les loups ne signifie pas pour autant accepter de bêler avec les agneaux.
J’ai rythmé les fêtes avec les somptueux motets de Jean Gilles (Cantate Jordanis incolæ, Diligam te Domine), le fracassant Te Deum Dettingen de Haendel et des pièces pour orgue de Gaston Litaize, notamment sa Sonate à deux pour grand orgue, à quatre mains, et son étonnant Cortège pour trois trompettes, trois trombones et orgue.
J’avais besoin de ces musiques pleines d’élan vital et de beauté pour tenter d’éloigner les vulgarités (hystérie sportive locale variée, passage à ma porte du lancer de Cochonou, autrement dit le Tour de France) et les chagrins de cette année 2014 qui s’est très bien terminée sur le plan matériel mais qui fut désastreuse sur le plan relationnel. Au milieu de ces chefs-d’œuvre musicaux, ma brève incursion dans l’univers symphonique du compositeur Howard Hanson ne m’a pas convaincu. Ce n’était peut-être pas le bon moment pour cette découverte.
On ne peut pas me soupçonner de me défier de la musique dite contemporaine, ma discothèque peut en témoigner, mais encore moins de renoncer à mes goûts personnels.
À cet égard, certaines « œuvres » me paraissent relever de la plus éhontée culture des poires, notamment celle d’un « compositeur » d’aujourd’hui dont j’ai oublié le nom et les sons (les trous de mémoire ont parfois du bon) mais pas le comique involontaire de son entretien avec une journaliste, laquelle, manifestement bien intentionnée, lui déclarait après avoir diffusé un salmigondis d’indigents borborygmes « je crois discerner dans cette pièce de subtils effets de miroirs, une composition en strates » (!) Et notre compositeur de lui répondre sur le ton matois caractéristique des adeptes et profiteurs de la culture des poires, tout heureux qu’on puisse trouver à leurs productions un intérêt, une beauté ou un sens qu’ils s’étaient abstenus d’y inclure : « Euh... Eh bien oui, on peut l’entendre ainsi, pourquoi pas ? » Ma foi oui, pourquoi pas ! Quant à moi, auditeur tombé par hasard sur cette séquence, j’aurais pu croire qu’un voisin bricolait mais comme je n’ai pas de voisin... Forcément, c’était France Musique !
Moins sonné psychologiquement qu’en fin 2013, j’ai réussi à me remettre un peu dans l’ambiance que j’agrémente chaque année de deux petits rituels : je regarde à la télé les retransmissions en direct de la messe de minuit à Saint-Pierre de Rome et du concert du nouvel an à Vienne.
Cette année, je craignais une perte d’éclat de cette grande messe en raison du style du Pape François enclin à plus de simplicité. Ce ne fut heureusement pas le cas, voire tout le contraire, avec en prime d’accompagnement musical, en plus de l’orgue et des chants, le concours d’un orchestre de chambre avec des solistes ! Une ambiance de concert !
Bien qu’étant agnostique, j’ai toujours aimé la pompe ecclésiastique sans laquelle des pans entiers de l’art occidental n’existeraient pas. Quant au concert du nouvel an, j’en aime depuis l’enfance ses morceaux de bravoure. J’ai toujours la larme à l’œil en écoutant la barcarolle des contes d’Hoffmann, je vibre à l’ouverture de la Chauve-Souris et la Marche de Radetsky m’électrise !
Après ces propos scandaleux, il ne me reste plus qu’à m’amuser à compter le nombre d’amis facebook qui m’auront viré... Les autres, en chair et en os, après avoir entendu bien pire, sont encore là, et c’est l’essentiel.
10:53 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carnet, note, journal, autobiographie, écriture de soi, blog littéraire de christian cottet-emard, voeux, meilleurs vœux, cartes de voeux, janvier, poésie, françois xavier maigre, éditions bruno doucey, messe de minuit, saint pierre de rome, italie, concert du nouvel an, vienne, autriche, musique, strauss, offenbach, howard hanson, jean gilles, haendel, motets, gaston litaize, orgue, épiphanie, épicéa, chauve-souris, barcarolle, contes d'hoffmann, marche de radetsky, facebook, amis, christian cottet-emard, occident, culture occidentale, art occidental, pompe écclésiastique, agnostique, agnosticisme, pape françois, culture chrétienne, france musique, radio, te deum dettingen, hystérie sportive, vulgarité